Le rap, de ses prémices à sa diversification

Reportage

À l’occasion de la Journée internationale de la musique, la délégation Île-de-France Meudon du CNRS vous présente les travaux de trois chercheurs et chercheuses du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA) : Karim Hammou, Emmanuelle Carinos-Vasquez et Keivan Djavadzadeh. Leurs recherches portent principalement sur l’analyse du rap, du hip-hop en France et à l’étranger, des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Ils animent avec deux autres collègues, Emily Q. Shuman et Princia Andrianirina, un séminaire de recherche consacré à ces musiques : « "Fight the power ?" Musiques hip-hop et rapports sociaux de pouvoir ».1

 

[1] fight-the-power.sciencesconf.org/

  • 1fight-the-power.sciencesconf.org/

Au sein du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA)2 , Emmanuelle Carinos-Vasque, Keivan Djavadzadeh et Karim Hammou, travaillent sur l’analyse du rap en France et à l’étranger. Nous les avons rencontrés pour échanger sur l’histoire du rap en France et l’impact du traitement médiatique sur son évolution.

La genèse du rap 

À ses débuts, le rap désigne une innovation dans la technique de voix en lien avec une histoire artistique et musicale afro-américaine.3 Les artistes adoptent une « technique d’interprétation ni parlée ni chantée, proférée en harmonie avec une rythmique ».4

L’interprétation rappée fait sa toute première apparition à New-York dans les années 1970, sous l’influence des sound systems jamaïcains et de la musique funk. 

Le rap s’implante à son tour en France dans la première moitié des années 1980, au travers de deux étapes marquantes. Tout d’abord, par une tournée internationale d’artistes hip-hop organisée par des tourneurs français, britanniques et états-uniens : le New-York City Rap Tour. C’est l'un des événements majeurs qui marque le début de la culture hip-hop en France. Ces artistes effectueront plusieurs dates en France, en 1982. La première émission de télévision française à aborder la culture hip-hop et à la rendre populaire est diffusée sur TF1 en 1984. Elle est animée par Patrick Duteil, dit Sidney.

La culture hip-hop réunit des formes musicales (DJing, rap, human beat-box), des formes chorégraphiques, et des formes picturales (graffitis, tags). Elle s’implante grâce à des amateurs de musique atypiques ayant un goût pour des musiques à la périphérie de l’industrie musicale française de l’époque et par le biais des radios, le premier moyen pour les musiques hip-hop de se faire connaître.

Dans la première moitié des années 1980, l’influence de la culture hip-hop est liée à un projet idéologique élaboré à New-York par une figure centrale du mouvement hip-hop et de la Zulu Nation : Afrika Bambaataa. Un message accompagne ce mouvement hip-hop de l’époque : « Peace, Love, Unity and Having Fun ». Le « Peace, Love » s’élabore en réponse à la violence des rues et des gangs à New-York, tandis que le « Unity and Having Fun » fait référence à la fête et au plaisir partagé. En France, ce slogan a un impact très fort dans la première moitié des années 1980. Les premiers représentants de la culture hip-hop en France (notamment Sidney), très proches d’Afrika Bambaataa, partagent les mêmes principes et valeurs que la culture hip-hop de l’époque, et se reconnaissent dans le message porté par la Zulu Nation.

Dans la deuxième moitié des années 1980 et plus encore dans les années 1990, la France va assister à une diversification du hip-hop qui se veut ouvert à tous et à toutes les conceptions.

Un aspect contestataire, social et politique dans la musique hip-hop apparaîtra par la suite, bousculant l’image festive qui dominait jusqu’alors cette culture.

L’impact de la médiatisation du rap : association rap et banlieues

Au tournant des années 1990, le rap français connaît une médiatisation sans précédent, qui efface la définition du rap au sein de l’industrie musicale : une simple façon de parler sur de la musique funk. Cette médiatisation privilégie une définition nouvelle, qui fait du rap un symptôme de problèmes publics. Une association très forte est soulignée par des journalistes ou encore des animateurs TV entre rap et banlieues.

Cette image a un effet très important sur le monde du rap. Des rappeurs sont invités sur des plateaux TV pour réagir à cette nouvelle vision du rap et des rappeurs. Certains artistes la contredisent en qualifiant le rap de poésie et de virtuosité, et s’opposent à l’imaginaire autour des banlieues que les médias fabriquent. Des artistes comme IAM ou Suprême NTM utilisent leur image publique pour critiquer les discours portés sur le rap et les quartiers populaires par la sphère médiatique française. Ce contexte pousse de plus en plus de rappeurs à évoquer dans leurs textes les problèmes des banlieues, des quartiers populaires et de la jeunesse. C’est le cas par exemple du groupe Suprême NTM avec l’album Authentik.

La question des violences commence également à faire son apparition et à être reliée au rap à partir des années 1990. Des polémiques entretenues par les médias entourent certains concerts. En 1990, un concert du célèbre groupe états-unien Public Enemy est surveillé par des CRS par crainte d’émeutes. La première rencontre entre le rap dit « violent » et la société française se déroule lors du célèbre procès de NTM, condamné pour propos outrageants envers les forces de l’ordre, lors d’un concert à la Seyne-sur-Mer en 1995. À partir des années 2000, les procès envers les rappeurs deviennent de plus en plus fréquents.5

Le décloisonnement médiatique du rap

Le rap est un art porteur de messages divers, qui se détache petit à petit de l’image médiatique d’une musique uniquement associée à la banlieue, aux quartiers populaires et à la violence. Aujourd’hui, il existe une diversification des cadrages médiatiques et des façons de parler du rap, liée à sa massification. Tous les sous-genres du rap sont représentés : le rap conscient, le cloud rap, la drill etc. De nombreux rappeurs sont valorisés par la sphère médiatique, et l’image négative qui caractérisait le rap pendant plusieurs décennies s’atténue.6

  • 2CNRS/Université Paris Nanterre/Université Vincennes-Saint-Denis
  • 3Djavadzadeh, K. (2021). Hot, Cool & vicious. Genre, race et sexualité dans le rap états-unien. Amsterdam.
  • 4Hammou, K. (2014). Une histoire du rap en France. La Découverte.
  • 5Carinos Vasquez, E. (2022). « Le rap au prétoire : luttes politico-judiciaires autour de deux clips (Jo le Phéno et Nick Conrad) », Biens Symboliques / Symbolic Goods n°10. https://doi.org/10.4000/bssg.1025.
  • 6Hammou, K. et Sonnette-Manouguian M. (2022). 40 ans de musiques hip-hop en France. Presses de Sciences po / Ministère de la Culture DEPS-Doc.