Gérôme TrucSociologie des attentats
Gérôme Truc, chargé de recherche CNRS au sein de l’Institut des sciences sociales du politique (ISP, CNRS / ENS Paris-Saclay / Université de Nanterre), étudie les réactions aux attentats dans les sociétés occidentales et leur mémorialisation. Après s’être d’abord penché sur les réactions suscitées en Europe par les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, du 11 mars 2004 à Madrid et du 7 juillet 2005 à Londres, il s’est concentré sur les attentats qui ont frappé la France en 2015-2016. Engageant de nombreuses collaborations, en France et à l’étranger, ses travaux éclairent le contenu des mémoriaux éphémères qui se forment en hommage aux victimes, le traitement médiatique de ces événements et les réactions qu’ils suscitent dans différents milieux sociaux et en ligne, sur les réseaux sociaux. Il étudie aussi la façon dont leur mémoire évolue au fil du temps, notamment dans le cadre du Programme interdisciplinaire 13-Novembre, qu’il a contribué à lancer. Depuis le début de sa carrière, il poursuit ainsi un travail de collecte et d’exploitation de données pour prolonger un sillon déjà profond.
Après une agrégation de sciences économiques et sociales puis un doctorat de sociologie, Gérôme Truc rejoint le CNRS en 2016, à l’ISP. Dans la lignée du sociologue américain Randall Collins, il développe une sociologie des réactions aux attentats, croisant différentes méthodes d’enquête pour « comparer ce qui, dans ces moments-là, se dit en ligne et dans la rue, voir comment des mots d'ordre et des slogans tels que ‘Je suis Charlie’ émergent et circulent ». Son approche, exposée notamment dans Sidérations : une sociologie des attentats, apporte un éclairage pionnier sur la manière dont les sociétés endurent de tels événements.
« Je prends les événements terroristes comme des moments de mise à l'épreuve de la société, donc aussi des révélateurs. Qu’est-ce que ces événements suscitent dans nos sociétés ? Plus de cohésion ou plus de division ? Et qu’est-ce que ces réactions disent du lien social dans nos sociétés d’aujourd’hui ? »
Ses recherches remettent en cause un certain nombre d'idées reçues, comme le fait qu'il suffit d'être citoyen du pays frappé par une attaque terroriste pour que celle-ci nous concerne quand on n’en est pas directement victime. Pour lui, c’est une communauté de deuil aux ressorts multiples et aux contours flous qui prend alors forme, au sein des frontières nationales comme au-delà. « Et pour comprendre comment renforcement de la cohésion et tensions sociales vont de pair, il faut aller y voir de plus près en s’immergeant dans certains milieux sociaux ». Ce qu’il a fait, pendant près de dix ans, avec Fabien Truong à Grigny dans l’Essonne — ville la plus pauvre de France où l’un des terroristes de janvier 2015 a grandi1.
Ses travaux se développent ainsi dans le cadre de projets collaboratifs, comme le projet REAT2, qui contribuent à structurer une communauté de recherche sur ces questions, en lien, aussi, avec des praticiens d’autres professions « tels les archivistes appelés à intervenir pour préserver le contenu des mémoriaux post-attentats ». De la collaboration engagée avec les Archives de Paris suite aux attentats du 13 novembre 2015 est né un livre richement illustré, mi-ouvrage scientifique, mi-document historique : Les mémoriaux du 13 novembre. Impliqué par ailleurs dans le projet de création d’un Musée-Mémorial du Terrorisme, il a à cœur de diffuser les savoirs issus de la recherche auprès d’un public le plus large possible ; ce qui l’a également conduit à cosigner un manuel d’initiation précoce aux sciences sociales pour les élèves du cycle 3 (CM1-CM2-6ème). « En tant que chercheur CNRS, j’estime être un fonctionnaire du savoir. Cela implique d’aller jusqu'au bout de la chaîne de production de la connaissance, de la rendre accessible au plus grand nombre ».
« Cette médaille de bronze récompense un travail de défrichage d’un nouveau champ de la recherche en sciences sociales. Mais je n'aurais pas pu le faire sans l’apport de tout un collectif, mon laboratoire et une communauté de collègues sur lesquels m'appuyer au quotidien ».